Le Tuc de la Coume  - Lundi  28  mai  2012.
  
Animateurs :  Martine et Jean-Marc en compagnie de Jean-Marie Claustre.

  
 
  Étang de l’Hers, petit matin de printemps du lundi de Pentecôte. Le départ est imminent et la bonne humeur générale. Le ciel est voilé et gris, bouché par la brume, la température est agréable.
  
    Rapidement le sentier s’enfonce dans un bois pentu menant au col Dret. Sur notre gauche nous apercevons les pentes sombres et austères du mont Béat dont la cime reste enfouie sous la brume. Le rythme de marche est bon dès le départ grâce au pas d’un montagnard qui tient la tête d’un groupe composé d’une vingtaine de paires de jambes. Ce montagnard ? C’est Jean-Marie Claustre, un jeune homme bedonnant, fringant et malicieux de quatre-vingt trois printemps ! Aujourd’hui, avec lui, la randonnée ne sera pas comme les autres, si tant est que deux randonnées se ressemblent. Cependant celle-ci aura un charme tout particulier grâce à sa présence singulière.
 
     Nous suivons le sentier en écoutant les souvenirs de Jean-Marie au fil de ses prises de parole (et elles sont nombreuses), lui qui jadis, alors adolescent, arpentait la montagne pieds nus jusqu’au mont Ceint pour faire la sentinelle et du renseignement à son insu. C’était durant la seconde guerre mondiale, période sombre où marcher en montagne n’avait pas le même sens qu’aujourd’hui; nous y allons pour notre bonheur tandis qu’à l’époque on travaillait dur dans les champs pentus, et certains traversaient la frontière pyrénéenne pour échapper au joug de la tyrannie nazie au risque de perdre leur vie dans nos chères et inestimables montagnes. Les renseignements de Jean-Marie étaient transmis à la Résistance, et plus particulièrement au passeur Jean Benazet de Varilhes dit “Piston” (surnom dû à son métier de garagiste.)
Il y a aussi parmi nous un certain Olivier Nadouce que les questions de cette période sombre de l’Histoire préoccupe et qui régulièrement nous fait part de ses recherches en publiant des livres (lui et sa femme Suzel) sur la résistance en Ariège. Et également le cinéaste Francis Arthur Fontès qui a mis en scène Jean-Marie Claustre dans un film relatif au mont Ceint. Sans oublier tout le reste du groupe et sa mascotte d’un jour: Vega, le border collie de René !
 
     Notre corps se déplace horizontalement sur un sentier qui suit le relief de la montagne tandis que notre esprit se déplace verticalement en suivant les méandres de l’Histoire. En somme, une traversée historique in-situ au gré des souvenirs de Jean-Marie et des remarques d' Olivier, nos deux passeurs de l’Histoire.
 
     Le groupe s’étire, se décompose en petits groupes, se recompose, se défait de nouveau en de nouveaux petits groupes, se re-recompose, et ainsi tout le long du parcours au gré des bavardages et des affinités, sauf pour la photo sur le sommet du tuc de la Coume où nous serons tous regroupés tel un amoncellement de pierres silencieuses formant un gros cairn souriant.
  
    Notre marche évolue dans de somptueux bois de hêtres au sol tapissé de feuilles ocres, au milieu des chants d’oiseaux et du son apaisant de nombreux torrents. Parfois le sentier quitte le bois, traverse un ruisseau brillant de fraicheur et nous fait apparaître la vallée du Garbet parsemée de granges... La gentiane est là... Tout sent bon le vivifiant Couserans...
  
    Des cabanes en ruines jonchent le parcours. Jean-Marie en montre trois au loin: ce sont celles de son enfance... Nous sommes maintenant devant elles où il ne reste plus que murs croulants et toits délabrés, vestiges d’une vie rude dans un cadre idyllique. Nous écoutons ses confidences dites de sa voix aux intonations savoureuses du patois d’antan... C’est le moment d’émotion de la journée.
 
     Attenant au mur de l’une des cabanes, l’emplacement très réduit pour le cochon qui avait cependant tout loisir de se dégourdir les jambons au milieu des prés verts d’autrefois. Ces prés  sont maintenant envahis par les herbes sauvages, et les forêts ont gagné du terrain. Le cochon profitait du petit lait tiré du “mazuc” qui était “une petite cabane de pierres couvertes de mottes de terre, sous laquelle coulait une source, un véritable réfrigérateur. Ainsi nous pouvions écrémer le lait. Le beurre était descendu dans la vallée et vendu. Avec des pommes de terre écrasées, c’était la base de notre nourriture. J’ai, à cette époque, tellement mangé de beurre que je ne peux plus le sentir.” explique Jean-Marie.
  
    Dans l’herbe, debout ou assis, tout le monde casse la croûte et boit du vin rouge, se rafraichit le gosier d’une eau claire troublée par quelque senteur d’anis... Le tout au milieu des rires et des bons mots, surtout ceux de Jean-Marie, qui, l’œil brillant de malice, passe son temps à distraire l’assemblée gourmande. Il n’est pas qu’un passeur de mémoire, il est aussi un adroit lanceur de saucisson ! Il semble avoir trouvé le secret de la jeunesse éternelle car il est infatigable et toujours disponible !
 
     Sans l’ombre d’un doute le bonheur s’est posé aujourd’hui dans le Couserans.
  
    Au détour du sentier apparaît une nouvelle perspective. Nous regardons en direction de Massat et n’allons pas tarder à gagner la crête entre le pic de Balmiou et le tuc de la Coume. C’est là que Jean-Marie évoque la terrible embuscade de jadis, non loin d’ici : deux jeunes filles un peu plus âgées que lui voulurent lui baisser son pantalon !...
  
    Peu avant le tuc de la Coume nous faisons une pose sur la crête. Olivier nous lit le compte-rendu d’un résistant évoquant les faits de l’époque dans le massatois. Le lieu est idéal car nous avons sous nos pieds le hameau d’Ezes baignant dans la verdure, théâtre d’un tragique événement. Le temps ne s’écoule plus, il semble presque s’arrêter au milieu du silence et d’une légère brise. L’écoute de la lecture à voix haute fait surgir un autre temps, une autre époque à la fois si près de nous dans la durée et si lointaine au regard du changement de civilisation qui s’est produit depuis. Le nazisme n’est plus, le stalinisme n’est plus, mais nous nous coltinons à présent le capitalisme qui engendre souffrance et détresse; il s’est répandu à l’échelle mondiale, et désormais “la généralisation sans limite de la concurrence et de l’évaluation” fait rage en “une abrasion des singularités”. Le philosophe allemand d’origine juive Walter Benjamin (1892-1940) inaugure d’une phrase définitive la voie à suivre pour résister: “Vaincre le capitalisme par la marche à pied.” A chacun d’inventer son chemin !...
 
 
    Un peu plus loin sur la crête nous trouvons une stèle en granit où est gravé en lettre d’or un poème en hommage à un homme disparut probablement à cet endroit. Le voici:
 
 
Ce qui fait l’attrait
et la beauté de la montagne
c’est cette simplicité absolue
habillant d’une sombre élégance
la pierre nue.
 
Est-ce... pour... cela
qu’elle t’appelait si souvent
et qu’elle te rappela
toi Christian
en ce dimanche 18 mars 2001
 
  
    Au fil de la journée le temps vire au beau, vire au chaud. Cependant le ciel n’est pas tout bleu et les hauts sommets du Couserans nous restent cachés.
  
    Le retour s’effectue à toute crête fleurie jusqu’au col Dret, puis descente par le même sentier du matin. Sur la crête nous traversons un petit bois où la fraîcheur accentuée par le vert tendre des feuilles des hêtres et les magnifiques chants d’oiseaux rendent  le pas et l’esprit légers.
  
    De retour à l’étang de l’Hers, le généreux Jean-Marie nous régale d’un délicieux goûter: croustade et jus de fruit ! L’endroit est tranquille et pas encore envahit par les touristes de l’été. Le mont Ceint est au-dessus de nous; c’est LA montagne de Jean-Marie: il la connait mieux que sa poche ! Nous aurons sûrement l’occasion de retrouver Jean-Marie sur cette montagne lors d’une ascension à venir...
  
    Et puis pour clôturer cette belle journée qui est largement plus qu’une simple randonnée, je quitte le récit cher lecteur, pour laisser la parole à José Navarro notre président du Club des Montagnards Tarasconnais qui parla ainsi devant nous tous:
 
          “Je remercie Olivier Nadouce sans qui nous ne connaîtrions pas cette histoire, je remercie Jean-Marie Claustre sans qui cette histoire n'existerait pas, je remercie nos animateurs Martine et Jean Marc qui nous ont supporté toute la journée, je vous remercie à vous tous car votre participation est le meilleur remerciement que vous avez pu leur apporter.”
 
A plus haut et plus beau sous le ciel des Pyrénées !...

 

Photos Pierre et José. Récit  Pierre.

Jean-Marie, Olivier et notre accompagnatrice du jour.

A l'écoute de Jean-Marie.

Le mazuc.

La cabane de Jean-Marie.

Jean-Marie

A l'entrée du bois.

Olivier et Jean-Marie au col Dret.

Au sommet du Tuc de la Coume.